La France en quête d’identité

Publié le par Valeo

Le ministre de l’immigration, de l’intégration, et de l’identité nationale, Eric Besson, a annoncé, dimanche soir sur RTL, sa volonté d’organiser un « grand débat » autour de la question de l’identité nationale et de la fierté d’être Français. Une prétendue bonne idée, qui a déjà été soumis par le gouvernement, sans succès apparent. Explications

Le feuilleton continu et nous approchons du dénouement de l’intrigue. Cette dernière initiative révèle le désarroi du gouvernement. Il faut dire que ces dernières semaines ont été très déstabilisantes. Le scandale est arrivé, dans un premier temps, par Frédéric Mitterrand, qui a jeté le discrédit sur la politique de « fermeté » de Nicolas Sarkozy en faveur des « victimes » en apportant son soutien à Roman Polanski, suite à son arrestation en Suisse, pour une affaire, dès plus douteuse. Le même ministre de la Culture s’est encore retrouvé sur le devant de la scène, pour le récit de ses expériences de prostitution en Thaïlande, provoquant ainsi, l’indignation de l’opinion publique et de l’électorat de droite, qui s’est posé la question du bien fondé de sa présence au gouvernement. Dans un deuxième temps, le Président de la République, suite à une erreur tactique, diront certains, s’est auto-flagellé, en essayant de placer son fils, Jean Sarkozy, à la tête de l’Etablissement Public d’Aménagement de la Défense (l’E.P.A.D.). Deux affaires qui ont eu pour conséquence, de laisser dans une grande confusion, l’électorat de droite. Ainsi, pour faire amende honorable et prévenir toutes désertions dans les rangs, le Chef de l’Etat est reparti en campagne, avec ses bonnes vieilles techniques de séduction, des thèmes qui, jusqu’à maintenant, ont fait leurs preuves et sont censés raviver le moral des troupes. La charge commence, vendredi dernier, avec un commentaire très Sarkozyen de l’expulsion des 3 Afghans par charter : « L’Etat n’a pas à s’excuser, l’Etat n’a pas à culpabiliser parce qu’il fait respecter la loi, y compris les arrêtés de reconduite à la frontière. Nous ne changerons pas de cap car il n’y a pas d’intégration réussie sans immigration choisie. » Avec le pragmatisme qu’on lui connaît, le Président a saisit l‘opportunité qui lui était donné par la providence pour se ressaisir et de jouer son joker, en la personne d'Eric Besson. Ainsi, dimanche dernier, Eric Besson, alors invité sur RTL, en a profité pour faire part de son idée de lancer un « grand débat » sur l’identité nationale : « Il faut réaffirmer les valeurs de l’identité nationale et de la fierté d’être Français. Un débat se tiendra dans les préfectures et sous- préfectures, avec les « "forces vives » de la nation (mouvements associatifs, enseignants, élèves et parents d’élèves de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, organisations syndicales, représentants des chefs d’entreprises, élus locaux, représentants des anciens combattants et des associations patriotiques), selon ses vœux, dès le 2 novembre et jusqu’en février 2010. Un débat qui va s’articuler autour de deux axes : « l’identité nationale » et « l’apport de l’immigration à l’identité nationale » Un débat qui s’apparente sensiblement au thème d’identité nationale-immigration-sécurité développé par le Président en 2007, jamais traité en profondeur et qui revient, comme un marronnier, à l’approche de chaque élection ou en période de flottement du gouvernement. Ah, nationalisme quand tu nous tiens ! Mais soyons un peu crédule, bon élève et laissons nous guider dans les méandres du jeu politique.
Monsieur Besson pense donc : « qu’il serait bon que tous les jeunes aient, une fois dans l’année, l’occasion de chanter la Marseillaise », « d’animer des séances de formation civique pour les adultes volontaires, dont le Rhône et les Bouches-du-Rhône seront les laboratoires d’ici 2010, soit à un mois des régionales. » Cette belle initiative devrait s’achever par « un grand colloque de synthèse avant février 2010 », un mois avant les régionales. Mais il faut rester lucide, cette démarche n’est en rien une tentative de réparation des bévues, de ces dernières semaines, et de reconquête de l’électorat du Front National!!! Personne ne doute de l’utilité de se concentrer, de débattre de la question de l’identité nationale. Encore faut-il que les vraies questions soient posées, les vraies solutions apportées et que ce ne soit pas juste un argument politique qui méprise les citoyens qui subissent les injustices qui en découlent. Les réactions ne se sont donc, pas fait attendre. Encore une initiative qui divise opinion publique, historiens et politiques. Les « patriotes » ont, bien entendu, accueillis la nouvelle avec beaucoup d’enthousiasme. Le porte parole de l’U.M.P, Frédéric Lefebvre estime que : « ce n’est pas le retour d’un débat sur l’identité nationale qui devrait surprendre, mais plutôt l’effacement progressif de cette identité » et poursuit en citant Charles Trenet : « La défense de notre modèle culturel et de la « Douce France » passent « par la redéfinition de notre identité nationale. » Si ce n’est pas un discours franchouillard, dans un monde en pleine mondialisation et mutation, où l’on parle d’ouverture de frontière, d’Europe et d’échange, d’un monde et de sociétés qui ne seront plus jamais les mêmes, avec certaines réserves, bien entendu, que quelqu’un éclaire les âmes perdues qui ne voient en cette affirmation qu’une dérive nationaliste. L’historien, Max Gallo, vient nuancer ce propos : « Il y a une identité nationale qui est ouverte qui s’élargit, se modifie, se colorise, mais il y a aussi des fondamentaux qui jouent aussi dans la vie politique et qu’il est bon de rappeler. Il se dit donc satisfait que la question cruciale de l’identité nationale soit posée. Il faut, tout de suite, écarté l’idée que l’on fait au clin d’œil à l’extrême droite ainsi que celle de l’identité nationale est fixée une fois pour toute. » Il est important de se rendre compte que la société française, au même titre que le monde, évolue mais aussi qu’il existe des fondamentaux, c’est indéniable. Seulement, quand ces fondamentaux priment sur tout le reste et que les différences ethniques, sociales ou religieuses sont traquées et qu’il y a ce désir de les étouffés par tous les moyens pour justifier la suprématie d’une race, d’une élite ou d’un courant religieux ou autre, la solidarité et la diversité sont en danger. Comment peut-on éprouver la fierté d’être français, si avec ses particularités, quelles qu’elles soient, on ne correspond pas à l’idéal français. Ainsi, l’historien Patrick Weil, juge « insupportable », « la volonté d’encadrer quelque chose qui a toujours été fluide.» Selon lui, « Etre français, c’est se rattacher à des traditions extrêmement différentes. On peut se sentir français en relation avec Jeanne d’Arc, Louis XIV, Danton ou Robespierre, De Gaule ou Clemenceau. Il n’y a pas une seule façon d’être français. Ce n’est pas au pouvoir de décider qu’est-ce que c’est qu’être Français.» On notera ici, que dans la diversité se retrouve aussi une distinction entre ruraux et citadins qui ne passe pas inaperçue et que ce n’est pas simplement un problème lié à l’immigration.
Du côté de l’opposition, l’accent est surtout mis sur l’idée d’une manœuvre électorale. Jean Christophe Cambélis, secrétaire national du PS, dénonce une « grosse ficelle » à l’approche des régionales. « Empêtré dans une gestion calamiteuse de l’immigration, confronté aux déficits publics, bousculés par les sondages, les licenciements, la vie chère, Monsieur Besson propose de faire un colloque sur l’identité nationale » et regrette que le « gouvernement prennent les français pour des gogos. » La politique d’immigration du gouvernement est, en effet, un échec. ‘Plus de la moitié des expulsés proviennent de Mayotte ou des pays nouvellement européens. L’expulsion d’un clandestin coûte environ 33 000 euros : 13 000 euros pour le retenir dans un centre ( à en croire la Cour des Comptes), et 20 000 euros pour l’expulsion elle-même. La lutte contre les employeurs de travail clandestin est ridicule : de l’aveu même du ministère, 1500 contrôles seulement ont été effectués sur les 8 premiers mois. (www.marianne2.fr)’. Un dénonciation que partage les Verts, en la personne de leur porte parole, Djamila Sonzogni, qui qualifie la manœuvre de « vieille soupe nationaliste.» A François Bayrou de rajouter : « Rien n’est pire que d’en faire un sujet d’affrontement politique surtout quand, par ailleurs, on abîme l’image de la France. Et encore pire, d’en faire une utilisation partisane. La nation appartient à tout le monde. » Et c’est bien là que le bât blesse.
 
« La nation appartient à tout le monde » ?
 
François Rachine, directeur de l’Institut Montaigne, qui depuis 3 ans étudie la question, insiste sur l’importance de l’intitulé du débat. « Le débat porte sur, qu’est-ce qu’un Français ?, en référence aux différentes composantes de la société et non sur l’identité nationale qui renvoie à l’idée d’une conformité ou non conformité à une norme. Laquelle ? » Afin de clarifier son propos, il ajoute : « Le débat, en lui-même, est plus important que la réponse qu’on va y apporter. Les enjeux de cette concertation sont primordiaux : elle doit permettre de mieux faire comprendre l’autre et donc d’accepter la diversité, les spécificités de chacun. A terme, elle a pour objectif de faire baisser l’exclusion, d’améliorer l’égalité des chances et plus généralement le vivre ensemble. » L’historienne Esther Benbassa pousse plus loin le débat et définit « la question, telle qu’elle est posée, par Eric Besson, comme désuète, voire « racoleuse », vieux-jeu. Bref, à contre-temps de toutes les évolutions culturelles et historiques. » Selon elle, « Face à cette mondialisation galopante, les identités sont multiples. L’identité nationale, c’est un concept qui ne parle à personne sauf à ceux d’extrême droite. On essaie de restaurer des idées galvaudées. » Cette affirmation rappelle une certaine idée de monarchisation de la France évoquées ces derniers jours. La devise : Liberté, Egalité, Fraternité ne renferme pas l’idée d’une nation où les dirigeants ou l’élite se partagent la plus belle part du gâteau et laisse des miettes au bas peuple et aux étrangers. Elle n’implique pas non plus, l’idée d’une quelconque suprématie de race, de religion, de classe sur une autre. Autrement, elle conduit à l’acculturation et à une politique d’assimilation qu’on définit comme de l’intégration. Une société se forme de plusieurs composantes (couleur, social, âge, religion). Encore faut-il qu’elles soient des composantes actives de cette société. « Pour qu’il y ait un patriotisme français », ajoutait Esther Benbassa, « il faudrait qu’il y ait un rêve français comme il y a toujours un rêve américain. » Ce rêve français ne reste vraiment qu’une notion, un concept abstrait tant la mécanique est inexistante. Si la comparaison à l’Amérique dérange certains, dans le jeu du « Je t’aime, moi non plus » qu’entretiennent les Français avec les Américains, alors qu’ils essaient par tous les moyens de les copier, nous prendrons le modèle anglo-saxon (Angleterre) donc européen et plus proche de nous. Même si, ils expulsent des afghans ou autres aussi, la solidarité, l’intégration et l’égalité des chances sont bien réels et existent pour tous. Il persiste des inégalités comme dans tous les pays mais moins flagrantes qu’en France, par exemple. Ce n’est pas le propos. Les événements de ces dernières semaines ont pointé deux failles essentielles dans le fonctionnement de la société française. Le mérite et le travail ne paient guère. J’en veux pour preuve le rapport du 21 octobre du C.S.A., « La diversité à la télé. Ce n’est pas encore ça ! » Se basant sur des critères de sexe, de catégories socioprofessionnelles, d’origines ethniques, et de handicap, le C.S.A constate que des progrès ont été fait mais reste très insignifiants. Les cadres et les professions intellectuelles sont représentés à 43 % contre 25% pour les inactifs et les ouvriers. On y trouve 60% d’hommes contre 40% de femmes. Les handicapés sont aux abonnés absents. La diversité d’origine est très réduite. Dans 9 cas sur 10, la priorité est donnée à des personnes blanches. Comment peut-on, avant d’être fier d’être Français, simplement exister en tant que Français, quand on n’a pas de résonance médiatique ou de représentation, de modèles à des postes autres que dans les « sales boulots », on est définie comme des « parias » et surtout quand on a aucun poids politique ? Aux questions de la possibilité d’un Président noir en France, et d’une plus grande représentation politique, de la numéro un de l’association, « Ni putes, ni soumises » à Arnaud Montbourg, celui-ci répond : « Les Français sont prêt mais le sérail politique bloque encore, non. » La démonstration est faite. Et ce n’est certes pas la politique d’ouverture ou d’égalité des chances de Nicolas Sarkozy qui pourra changer la donne, puisque ce n’était qu’un leurre. Rama Yade, Rachida Dati , Fadela Amara, Harry Roselmack au 20 heures de TF1 et la jubilation était à son maximum. Il ne faut voir dans cette démarche que du pragmatisme et aucune volonté profonde. Des os pour calmer les chiens enragés. Ce qui est une victoire pour certains ne devrait représenter qu’une normalité dans une société plurielle. Un premier pas a été fait mais l’avancée a été de courte durée. Nous n’évoquerons pas les problèmes rencontrés par toutes les différentes minorités et que personne ne vienne me parler de crise, car ces problèmes sont antérieurs à la crise. On aura beau apprendre aux nouveaux français : la langue française, leur dispenser des formations « d’instruction civique », comment ils doivent contribuer à modifier l’identité française et en même temps les aider à s’y insérer, comme au XIXe siècle, comme le disait Max Gallo, l’outrage sera toujours présente car nous ne sommes plus au XIXe siècle d’une part. D’autre part, à quelle place ? dans quelles conditions ? tant que persiste une certaine hypocrisie. Il faudra bien affronter toutes ces vérités un jour ou l’autre. Patrick Weil rajoutait : « Le seul pouvoir de M.Besson est de transformer des étrangers en Français en les naturalisant, et il utilise ce pouvoir pour violer une des traditions les plus importantes de la République française qui est, l’égalité devant la loi. Il autorise les préfets à sélectionner les étrangers qui demandent à être français de façon différentes selon qu’ils habitent Strasbourg, Pointe-à-Pitre, Marseille, Paris. »
Il s’agit de comprendre que les problèmes ne sont jamais attaqués à la racine et sont toujours traités avec la même hypocrisie. Le monde sera toujours bipolaire : riche, pauvre ; dominants, dominés même si c’est un peu réducteur. L’intérêt économique grandissant a tout réduit à l’état de marchandise. Alors que le taux d’absentéisme est élevé chez les jeunes, ce qui s’explique par un manque flagrant d’intérêt pour leur apprentissage ou la vertu du savoir, des débouchés qui sont maigres, un ascenseur social bloqué pour les minorités, l’idée de génie du gouvernement était de proposer de payer les élèves pour qu’il vienne en cours, une vraie méprise. Il s’agit de recréer du lien social, des valeurs collectives, un pont par l’éducation et par voie de conséquence le travail, la vie sociale et autres… Un principe qui s’applique donc directement à la diversité. Le gouvernement, encore une fois, se pose t-il les bonnes questions ou ignore t-il simplement des réalités qui un jour ou l’autre vont lui exploser à la figure ? Il n’est pas question de revenir à un républicanisme franchouillard et communautariste mais d’assumer les spécificités de la société et de refonder l’idée de la République sur cette base. Comme disait le marquis de Sade : « Français, encore un effort si vous voulez vraiment être universalistes. » La France et sa diversité est à l’image d’un couple mixte ou pas, où les deux parties en présence, refusent d’accepter ou de faire les compromis nécessaires pour accepter la différence de l’autre, même si il y a une base commune. Chacun pense détenir la vérité. Pourquoi ne pas voir le concept de la manière suivante ? Si on voyait chacun comme détenant une part de vérité, et que toutes ces vérités mises bout à bout aboutiraient à une vérité globale, au niveau sociétal et mondial, n’est-ce pas là une définition de l’universalité ou de l’universalisme?

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